C’est tout ce qui nous reste de l’autre, avec les souvenirs : des vêtements, des objets, des mots, des papiers, son téléphone… Il va falloir se décider sur ce qu’on garde, ce dont on se sépare. Et prendre son temps pour cela, comme l’explique Nadine Beauthéac, psychothérapeute, spécialisée dans l’accompagnement des endeuillés, et auteur de plusieurs ouvrages sur le deuil, dont « 100 Réponses aux questions sur le deuil et le chagrin » (Le Livre de Poche). Car ces « traces du défunt » jouent un rôle primordial dans le deuil.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
"À la mort de mon père, nous avons partagé certains de ses vêtements avec ma mère et mes sœurs, chacune de nous avait besoin de porter un souvenir de lui. J’ai récupéré deux grandes chemises et un pull. Je les mets chez moi pour travailler ou dessiner. Ça me donne la sensation de sa présence et de sa protection."
Marguerite, 31 ans, Aix-en-Provence.
Apprivoiser l'absence
Il y a quelques années, j’ai reçu une dame dont le mari, agriculteur, venait de se suicider. À la fin de la consultation, son cou s’est dégagé et j’ai vu, suspendue à une chaîne, une alliance. Elle s’est alors écriée : « Je sais, ce n’est pas bien… À l’hôpital, on m’a dit que, tant que je porterais son alliance, je ne ferais pas mon deuil ». Voilà une idée reçue qu’on entend trop souvent, alors qu’il est tout à fait normal et aidant de garder des affaires du défunt. Le psychisme ne peut pas passer de la relation que l’on avait avec la personne vivante à plus rien.
Ces « traces du défunt » sont comme une assurance qu’il a bien existé dans notre vie ; elles jouent un rôle proche de celui de l’objet transitionnel pour le petit enfant. Comme l’enfant investit un « doudou », qui va lui permettre de passer des bras de sa mère au vaste monde, lors d’un deuil aussi, nous avons besoin d’objets transitionnels pour supporter la séparation.
Prendre son temps
Pour se protéger du chagrin que pourraient provoquer les souvenirs du défunt, certains décident de se séparer très vite de tout ce qui lui appartenait. Parfois, c’est l’entourage qui se charge de faire place nette. Or nous ne pouvons avancer dans le processus de deuil qu’en acceptant de nous laisser traverser par la douleur et le chagrin. Les traces du défunt sont comme une part de lui, un contact qui nous reste. Ce dont parle si bien Bernard Chambaz, dans Martin cet été (éditions Julliard), le livre qu’il a consacré à son fils, mort en juillet 1993, à 16 ans, dans un accident. À la rentrée scolaire, il est entré dans sa chambre, s’est assis à son bureau, s’est enroulé la tête avec l’une de ses chemises et a décidé d’écrire sur la mort de son fils.
Pour se protéger du chagrin que pourraient provoquer les souvenirs du défunt, certains décident de se séparer très vite de tout ce qui lui appartenait.
La valse des photos
Dans le deuil, la relation aux photos est complexe. Nous oscillons entre les phases où elles nous soutiennent, et d’autres où c’est trop difficile de les avoir devant soi. Nous les changeons de place ou les glissons alors dans un tiroir. Puis, après un temps, nous en ressortons certaines. Nous faisons perpétuellement des « petits arrangements avec les morts ».
C’est important de ne pas figer les choses, de suivre les mouvements qui nous traversent au fur et à mesure du temps. Le deuil, c’est ça. Et c’est le signe que nous sommes vivants.
Aller dans le sens de la vie
Le deuil est un processus long, qui évolue. Aujourd’hui, nous en sommes là ; dans trois ou cinq ans, ce sera autre chose. À un moment donné, le psychisme s’apaise, trouve de nouveaux points d’ancrage, et les objets ont moins d’importance. Le blouson de l’autre dans la penderie, c’était vital au début ; trois ans plus tard, nous en avons moins besoin, parce que nous avons petit à petit intériorisé le défunt. C’est important de respecter ce qu’on ressent, sans nous sentir coupables. Il y a des parents qui me disent : « Ça fait cinq ans, je n’ai toujours pas touché aux affaires. » Il va falloir y songer pour ne pas cristalliser la maison dans le passé. Parfois, nous avons besoin d’être autorisés à le faire.
Non, ce n’est pas parce que nous envisageons de ranger ou de donner des affaires du défunt, ou d’aller moins souvent au cimetière, que nous l’aimons moins.