C'est l'un des deuils les plus éprouvants à vivre. Christophe Fauré, psychiatre et psychothérapeute, auteur d'Après le suicide d'un proche (Albin Michel), nous livre son éclairage sur cet événement, qui nous dépasse et nous anéantit.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
« C’était un 21 décembre, nous étions en réunion avec l’équipe. Quand je suis revenue chercher mes affaires dans mon bureau, j’avais plusieurs messages en absence : “Ça ne va pas, je vais faire une connerie…” C’était mon fils de 20 ans. Je me souviens avoir couru jusqu’à ma voiture sans même enfiler mon manteau. Quand je suis arrivée devant notre immeuble, il y avait les pompiers, un attroupement, et j’ai entendu quelqu’un dire : “Il s’est balancé par la fenêtre.” »
Elisabeth, 57 ans, Nantes.
La quête obsédante du « pourquoi ? »
« Non ! Ce n’est pas possible… » Le suicide d’un proche nous plonge dans un état de stupeur profonde. C’est un des événements de la vie les plus difficiles à intégrer, explique Christophe Fauré. Pendant des mois, parfois un an, deux ans, nous sommes comme engloutis dans un sentiment d’irréel. Ce sentiment se double d’une recherche obsédante du « pourquoi ? » avec, en arrière-fond, l’idée d’une cause au centre de laquelle nous nous trouvons. Le deuil après suicide se caractérise par une culpabilité obsédante : si j’avais fait ci, si je n’avais pas dit ça, pourquoi n’ai-je pas compris, mon amour n’a pas suffi à le retenir à la vie… Ce questionnement sans fin peut durer des années. Puis vient un moment où la personne est épuisée, à bout. Elle a recherché toutes les causes possibles sans trouver de réponse, elle capitule. Les études ont montré qu’un début d’apaisement survient à partir de ce moment-là, lorsque l’on renonce à comprendre ce qui a mené l’autre à cette décision qui nous dépasse complètement.
La possibilité d’un état de stress post-traumatique
À la suite d’un suicide, il n’est pas rare de développer un état de stress post-traumatique (ESPT), notamment chez la personne qui a découvert le corps, remarque le psychiatre. Cet état se caractérise par trois critères : des images envahissantes ou des cauchemars permanents ; un stress et une vigilance constants, la crainte nuit et jour d’une nouvelle catastrophe ; et souvent, des situations d’évitement avec tout ce qui est lié à l’épisode traumatique. Ces trois signes sont présents de façon constante dans les trois à quatre premiers mois qui suivent la mort. Mais s’ils persistent au-delà, malgré un accompagnement psychologique, et qu’un ESPT est diagnostiqué après examen, certaines techniques comme l’EMDR* permettent en quelques séances de soulager la personne de l’impact traumatique. La souffrance est toujours là, mais le processus de deuil et le mécanisme de cicatrisation psychique peuvent s’amorcer. Les associations ou les thérapeutes formés à l'accompagnement du deuil après suicide sont de bons interlocuteurs pour se renseigner sur les différents types d'aide envisageables en cas d'état de stress post traumatique.
À la suite d’un suicide, il n’est pas rare de développer un état de stress post-traumatique (ESPT), notamment chez la personne qui a découvert le corps, remarque le psychiatre.
S’en remettre au mystère de l’altérité
Lorsque, après une tentative de suicide, on demande à la personne pourquoi elle a fait ça, elle répond le plus souvent : « Je ne sais pas. Je voulais juste arrêter d’avoir mal. » En thérapie, une partie du travail sera d’amener le patient en deuil à intégrer qu’il n’y aura pas d’explication au geste de l’autre, que l’autre est autre. Et à abandonner cette question épuisante et vaine : « Est-ce que j’aurais pu faire quelque chose qui aurait fait la différence ? » Le suicide souligne les inévitables carences que nous avons tous dans nos relations affectives. Le deuil qui s’ensuit est d’une extrême solitude. Pour cette raison, conseille Christophe Fauré, il est bon de ne pas cheminer seul, de trouver un accompagnement : un thérapeute, un groupe de parole, un forum sur Internet… C’est-à-dire des interlocuteurs qui connaissent la question, qui ont l’expérience nécessaire pour comprendre ce que nous vivons.
*EMDR : initiales anglaises pour Eye-mouvement Desensitization and Reprocessing. En Français : Désensibilisation et retraitement par les Mouvements Oculaires.
La contagion suicidaire
Un suicide peut augmenter les risques d’autres cas dans l’entourage. Comme si, en se donnant la mort, l’autre avait enfreint une frontière que l’on s’interdisait jusque-là et qui devient soudain franchissable. Un interdit a été levé et ce que l’on n’aurait jamais imaginé pour soi devient envisageable. C’est pourquoi, après un suicide dans une collectivité (entreprise, école, prison…), on met en place des cellules d’accompagnement psychologique, dans le but d’ouvrir un espace où les émotions peuvent s’exprimer, mais aussi où l’on peut identifier les personnes à risque de passage à l’acte.