La mort d’un être cher engendre toujours une douleur, contre laquelle il est impossible de s’immuniser. On peut en revanche changer notre regard sur elle, mieux s’y préparer pour accompagner plus justement un proche en fin de vie. C’est le constat de Martine Binda, responsable de la commission deuil de la Fédération Jalmalv, et Françoise Mohaër, présidente de la Fédération européenne Vivre son deuil.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
" J’ai accueilli chez moi ma maman, les trois derniers mois de sa vie. Nous savions tous que c’était la fin. Et même si, à aucun moment, je n’ai pu me résoudre à l’idée de la perdre, ces semaines de partage et d’accompagnement familial ont été déterminantes pour moi. Mes enfants étaient là aussi, et il y a eu beaucoup de tendresse, de mots échangés. Quand nous l’avons enterrée, j’ai eu le sentiment que nous avions fait ce qui devait l’être, que les choses étaient “en ordre”.
Corinne, 55 ans, Beauvais
Transformer la peur et le déni en idée familière
« La mort fait partie de la vie et, pourtant, tout dans notre société, portée sur le jeunisme et le matérialisme, tend à nous démontrer le contraire, observe Martine Binda. L’injonction perpétuelle au bonheur nous pousse à détourner le regard et à simuler la joie jusqu’au bout. Alors, commençons déjà par envisager notre vie différemment et apprivoisons l’idée que tout ce qui est vivant meurt un jour. »
« C’est ce que Vladimir Jankélévitch appelle la mort à la première et à la deuxième personne, ajoute Françoise Mohaër. Comment imaginer son proche mortel quand rien n’a jamais été “parlé” à ce sujet ? Il s’agit aussi de réintroduire les mots de la mort au quotidien, en cessant de la masquer par des périphrases comme : il est parti, elle nous a quittés, il a disparu… »
Évoquer l’idée quand tout va encore bien
« Le deuil est évidemment plus compliqué quand on n’y est pas préparé, en cas de mort brutale par exemple, relève Martine Binda. On pourrait presque dire qu’une fin de vie annoncée est une chance pour ceux qui restent. » En effet, « il est toujours moins difficile d’en parler quand tout va bien, insiste Françoise Mohaër. D’ailleurs, faut-il rappeler que parler de la mort ne fait pas mourir ?
Je me souviens d’une dame âgée de 85 ans qui, à plusieurs reprises, avait dit à ses enfants : “A mon âge, il serait assez logique que je meure. Il va donc falloir vous y préparer.” Cela avait d’abord jeté un froid. Mais peu à peu, l’idée avait fait son chemin chez chacun d’entre eux dans son propre rapport à la mort. Quand cette dame a eu un problème cardiaque, et qu’elle a été hospitalisée, tout le monde s’est réuni dans sa maison, des enfants aux arrières petits-enfants.
Ces trois semaines ont été un moment très fort de lien familial. Aujourd’hui encore, tous en gardent un souvenir ému. Comme si, malgré la grande souffrance, cette réunion avait cimenté leur relation. »
Être présent, échanger avec authenticité
« Quand on accompagne un proche aimé, avec écoute, affection et compassion, quand il y a un véritable échange avant la mort, cela évite les regrets et la culpabilité qui font partie du processus du deuil, rappelle Martine Binda. Ce qui est très touchant, à cet égard, c’est l’authenticité des personnes en fin de vie. Le masque social vole en éclats, elles revisitent leur vie, disent la tristesse de partir, mais aussi les joies vécues. Dans le meilleur des cas, certains conflits s’apaisent, et ça, c’est un très beau cadeau fait aux vivants. » « C’est également l’occasion de se dire combien on a compté les uns pour les autres, et combien on se regrettera, ajoute Françoise Mohaër. Et de recueillir les dernières volontés, d’entendre ce que la personne souhaite transmettre, ou laisser derrière elle. Car il s’agit bien là d’une séparation définitive. »
Être à l'écoute de ce que l'on ressent
Pour résumer on pourrait dire que chaque deuil est parfaitement singulier, que chacun traverse cette épreuve comme il le peut, selon son histoire, qu'il n'y a pas de normes.
Oui, on peut pleurer, même vingt ans après, à l'évocation de certains souvenirs. Cela n'a rien de pathologique ou d'alarmant. Mais si après des mois, nous sommes toujours incapables de reprendre une partie de nos activités, que tout est à l'arrêt, il est primordial de trouver un espace où libérer sa parole, se sentir accompagné pour pouvoir, petit à petit, ne plus être "collé" au défunt, et réinvestir sa vie. Pour cela, il ne faut pas hésiter à demander un soutien à une association d’aide aux endeuillés, à son entourage, à un thérapeute.
Les enfants face au deuil
Ne leur dissimulez pas la mort
« Il est très important que les enfants puissent voir celui ou celle qui va mourir, en présence d’un adulte bien sûr. On veut toujours minimiser les événements, même en cas de mort d’un animal domestique, constate Françoise Mohaër. Quand meurt un poisson rouge, on court en acheter un autre pour que l’enfant ne s’en rende pas compte. Le livre de Catherine Dolto sur ce sujet, Si on parlait de la mort (Gallimard Jeunesse), montre bien toute l’importance de dire les choses. »
Accompagnez-les à chaque étape
« On ne doit pas exclure les enfants de ces événements au prétexte qu’on veut les protéger, car cela ne se rattrape pas, prévient Martine Binda. Ils sont tout à fait capables de comprendre dès lors que l’on répond en termes simples et clairs à leurs questions. Pour eux, parler de la mort n’est ni morbide ni anormal. Voyez la façon dont ils l’abordent avec un grand naturel, quand ils demandent : “Mamie tu vas mourir bientôt ?” Il faut leur faire une place à l’hôpital, où il y a maintenant des psychologues pour les accompagner, et leur laisser le choix d’assister ou non aux funérailles. Surtout, garder à l’esprit que ce que l’on imagine est toujours pire que la réalité. »