Confrontés à la mort d’un proche, les hommes et les femmes ont souvent une façon différente de vivre le deuil. Comment mieux se comprendre pour éviter de douloureux malentendus ? Nadine Beauthéac, psychothérapeute spécialisée dans l’accompagnement des endeuillés et auteur de “Hommes et femmes face au deuil” (Albin Michel), nous fait part de son expérience.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
" Mon frère est mort à 29 ans. Il avait des amis très proches qui ont été très présents jusqu’à l’enterrement. Dans l’année qui a suivi, j’aurais eu besoin de les voir, de partager mon chagrin avec eux. Mais j’ai vite senti qu’ils m’évitaient. J’ai appris plus tard que, même entre eux, ils n’arrivaient pas à parler de Pierre."
Gaëlle, 41 ans, Arles.
Exprimer son incompréhension
J’ai animé des groupes de parents endeuillés pendant près de dix ans. Et c’est là que j’ai compris que les hommes et les femmes n’ont pas la même façon de vivre leurs émotions.
Dès les premières réunions, les femmes se plaignent d’avoir « un mur en face d’elles » : « Ça ne va pas à la maison, je n’arrête pas de pleurer, mon mari me répète que ça ne sert à rien et refuse de parler » ; ou « Je ne le vois jamais pleurer, c’est qu’il aimait moins notre enfant. » Ce qui fait réagir les maris : « Ce n’est pas parce que je ne pleure pas à la maison que je ne pleure pas ailleurs. Je pleure quand je suis dans ma voiture. » Je me souviens aussi d’une mère qui s’étonnait que son fils de 18 ans ne rentre plus à la maison à la même heure depuis la mort de son père. En fait, il passait au cimetière en revenant de la fac, mais il n’en disait jamais rien.
Apprendre à se connaître
En écoutant tous ces couples, je me suis rendu compte que c’est aussi ce que j’avais vécu avec mon mari à la mort de notre bébé. Je pleurais beaucoup, j’étais très en colère, et lui, le soir, s’enfermait dans son bureau pour classer ses diapositives.
Comme l’ont très bien montré les Américains et les Canadiens, qui ont beaucoup écrit sur le deuil, la plupart des femmes ont besoin de laisser sortir leurs émotions et de mettre des mots sur ce qu’elles vivent. Alors que les hommes ont tendance à rechercher le silence et la solitude, à s’immerger dans des activités qui leur permettent d’être dans leurs pensées : sport, classement, bricolage… On entend souvent : « J’ai attaqué le garage, il fallait faire des étagères » ; ou « J’ai repris la course à pied. » Gilles Deslauriers, grand spécialiste du deuil à Montréal, avait mis en place des groupes de marche pour les hommes endeuillés, alors que les femmes appréciaient les groupes de parole.
Une autre phrase revient souvent : « Quand je vois ma femme pleurer, ça me tire vers le bas. » L’homme se retrouve démuni, a peur d’être englouti sous les émotions. Mais il y a évidemment mille manières d’être un homme ou d’être une femme.
Alors que les hommes ont tendance à rechercher le silence et la solitude, à s’immerger dans des activités qui leur permettent d’être dans leurs pensées : sport, classement, bricolage…
Respecter l'autre et sa façon de réagir
Donc, du côté des femmes, on constate que c’est la parole qui agit, le retour vers le passé, le ressassement (dans le sens positif : revenir sur ce qui a eu lieu pour le métaboliser) ; et du côté des hommes, plutôt le silence, l’action et l’inscription dans le présent. Cela change tout dans la relation lorsque la femme, en présence d’un compagnon silencieux, accepte de chercher ailleurs où se confier, auprès d’amies, d’un thérapeute ou dans un groupe de parole. Et quand l’homme, au lieu de dire à sa femme « Arrête de pleurer, ça ne sert à rien », est capable d’un geste, de lui demander « Tu veux sortir au restaurant ? Que puis-je faire pour toi ? », manifestant ainsi son soutien, tout en gardant la maîtrise de ses émotions. Chacun peut alors évoluer à sa façon avec son chagrin pour, petit à petit, se reconnecter à la vie.