Des moments de partage, de recueillement et de souvenir, des ballons envoyés dans le ciel, des photos que l’on expose… Les rituels, laïques ou religieux, nous permettent d’endiguer la douleur de la perte et l’angoisse de la mort. L’éclairage de Nadine Beauthéac, psychothérapeute spécialisée dans l’accompagnement des endeuillés, et auteur de 100 Réponses aux questions sur le deuil et le chagrin.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
"J’ai assisté aux obsèques d’un ami d’enfance avec qui j’avais fait beaucoup de bateau quand nous étions jeunes. Il n’était pas croyant, et sa femme et ses enfants avaient organisé une cérémonie laïque dans une salle du cimetière d’Amiens. Nous avons écouté les musiques qui plaisaient à Marc, lu certains textes… Pour moi, il manquait quelque chose… Trois mois plus tard, en croisière en Bretagne, j’ai écrit un mot à cet ami et je l’ai placé dans une bouteille à la mer. Cela a été mon rituel pour lui dire combien il avait compté dans ma vie. "
Marie, 59 ans, Paris
Parce qu’ils rassurent les vivants
"Depuis quelques décennies, on observe un vrai changement dans la pratique des rituels, mais aussi dans leur finalité même, analyse Nadine Beauthéac. Autrefois, quand une personne entrait en fin de vie, se déroulaient certains rituels religieux : on se réunissait, toutes générations confondues, on récitait des prières, on chantait ensemble, pour accompagner la personne dans ses derniers instants.
Ces pratiques, qui donnaient un cadre à l’angoisse de la séparation, ont disparu au fil du temps, pour la simple raison que l’on ne meurt plus chez soi. " Louis-Vincent Thomas, anthropologue spécialisé en thanatologie, évoquait lui aussi dans son livre, Rites de mort, pour la paix des vivants, ce déplacement du rituel funéraire à travers les âges. La mort a d’abord été "vécue et même préparée en famille", écrit-il. Puis le rituel est devenu plus clérical ("on s’en remettait à l’Église pour assurer son salut"). Dans notre société moderne, il est plutôt tourné vers "la détresse des survivants". "La mort n’est plus vécue comme une issue attendue […], c’est une rupture à laquelle on ne veut pas songer", constate le spécialiste.
Perdre un proche est un événement qui nous accompagne tout au long de notre vie, rappelle Nadine Beauthéac.
Parce qu’ils sont personnalisés
"Pour autant, il ne s’agit pas de dire que c’était mieux avant, relève Nadine Beauthéac. Les rituels ont changé : certes, ils sont plus laïques et davantage destinés aux survivants qu’aux morts, mais ils sont aussi plus personnels. Voyez par exemple comment évoluent les annonces de décès dans les grands journaux quotidiens, où l’on dit adieu de manière moins désincarnée. On y lira : "Monsieur et Madame X ont l’extrême douleur de vous faire part…", ou “l’immense tristesse”, ou “le profond chagrin”… Le vécu psychologique s’imprime dans ce choix de mots. Certains psychologues ont critiqué cette personnalisation, je trouve au contraire qu’elle donne du sens à l’adieu. D’ailleurs, si les rituels anciens se sont perdus, c’est aussi parce qu’il s’agissait de rites sociaux ou religieux codifiés, et que les gens ne s’y retrouvaient pas. Je me souviens d’une patiente me racontant que son père, qui venait de mourir, n’était pas religieux, mais qu’il adorait Johnny Hallyday. Elle avait fait célébrer une messe au cours de laquelle le prêtre avait accepté de passer des chansons de Johnny. Ou cette autre personne dont le fils est mort à 27 ans : à chaque date anniversaire de sa disparition, elle pose un jour de congé et part se promener dans le quartier où le jeune homme a vécu. "
Parce qu’ils aident à accomplir son propre deuil
"Perdre un proche est un événement qui nous accompagne tout au long de notre vie, rappelle Nadine Beauthéac. Et le deuil suit un parcours différent selon chacun, ponctué par le choc initial, puis la période que je nomme de "grande souffrance", elle-même suivie d’un “deuil cyclique et intermittent”, tissé de pensées intérieures et de commémorations extérieures. Il s’agit alors d’apprivoiser l’absence et la douleur. À un moment donné, l’énergie se libère enfin pour laisser place à autre chose, et le rituel est alors essentiel. Cela ne veut pas dire que, sans rituel, on ne guérira pas. Ce que l’on observe en revanche, c’est que les rituels nous aident à évoluer dans notre deuil. Et ce, même si le décès s’est produit il y a longtemps. On dit que la parole est thérapeutique, mais les gestes et les actes le sont aussi. Car ils permettent de transformer la douleur extérieure en présence intérieure."
Les enfants et les rituels
Si on laisse libre cours à leur créativité, les enfants inventent leurs propres rituels, explique Nadine Beauthéac. Le plus important étant de ne jamais substituer la réalité de la mort à la symbolique du rite. Le Dr Michel Hanus, psychiatre et psychanalyste, grand spécialiste du deuil, insistait beaucoup là-dessus. Il raconte comment il a accompagné un enfant de 5 ans : après la mort de sa petite sœur, il ne voulait plus aller à l’école et souhaitait prendre l’avion pour la retrouver au ciel. Il a suffi que ses parents lui expliquent que sa petite sœur avait été victime d’une mort subite du nourrisson, qu’elle était enterrée à tel endroit et qu’ils croyaient que son esprit était au ciel, pour que le petit garçon retourne enfin à l’école. Un enfant, même tout petit, peut tout à fait comprendre qu’il y a des mystères dans la vie.