Les années passent et l’on reste inconsolable. Aux yeux du monde, notre douleur semble figée, et de partout nous arrive ce message : « Fais ton deuil, finis-en avec ta peine. » Comme s’il s’agissait de boucler ses bagages et de fermer la porte derrière soi. Le point avec Emmanuelle Zech, docteur en psychologie*.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
« Nous étions les deux branches d’un même arbre. Mariés depuis quarante ans, sans enfant. Il est parti il y a sept ans, je n’ai pas touché une seule de ses affaires. On me dit que je devrais tourner la page. Mais j’ai immobilisé l’appartement au temps où il était là, sa brosse à dents est restée dans notre verre, j’ai encore besoin de ces traces de notre vie d’avant. »
Catherine, 63 ans, Paris
Se libérer des injonctions
« Certains experts parlent de deuil “prolongé”, “difficile”, “compliqué”, “pathologique”, pour classer les personnes qui vivent des « symptômes » comme la colère ou l’amertume après la perte, l’évitement, une difficulté à poursuivre sa vie, et ceci de manière très intense et prolongée (plus de 12 mois après le décès) au point de créer un dysfonctionnement significatif dans la vie.
Je n’ai pour ma part jamais posé ce genre de diagnostic, explique Emmanuelle Zech. L’aide que je peux apporter ne varie pas en fonction de cette classification par critère. Les “étapes” et le “temps” du deuil supposés adéquats sont selon moi des indicateurs. En aucun cas, ils ne doivent ajouter à notre souffrance l’idée qu’on n’est pas “normal” si notre cheminement diffère de ce qui est décrit ou attendu. Pour une minorité, la trajectoire sera plus longue, la perception plus forte. Plusieurs facteurs viennent compliquer le processus : la relation que l’on avait au défunt (père, épouse, enfant ?), notre lien de dépendance (peut-on imaginer de vivre sans lui ?), son âge (y en a-t-il un auquel le deuil devient supportable ?), les circonstances de son décès… Quoi qu’il en soit, la première chose à tâcher de comprendre, c’est si ce temps (très) long de deuil pose problème à la personne concernée. C’est sa propre perception qui a une valeur, rien d’autre. »
Écouter sa propre voix
« Quand on tarde à se débarrasser des empreintes de l’autre, comme cette veste gardée depuis cinq ans, l’entourage ne comprend pas. La seule et vraie question à se poser : est-ce moi que cela encombre ou mes proches ? Car la plupart du temps, cette “anormalité” n’est qu’une projection des autres et le reflet de nos lois sociales et culturelles. On n’accorde plus de place au deuil. À combien de jours avons-nous droit pour pleurer nos morts ? Si cela dure trop longtemps, on sort du cadre, et de ce que l’on attend de nous : être heureux et efficace. Dans ma pratique, j’observe que les stratégies mises en place par la personne en souffrance sont toujours les meilleures. Pas celles de ses proches ni même de son thérapeute. Qu’il s’agisse de recouvrir les murs de la maison de souvenirs du défunt, que l’on éprouve le besoin de parler constamment de lui ou elle, de rire soudain ou de pleurer beaucoup… Toute manifestation, dès lors qu’elle fait sens pour la personne en deuil, doit être acceptée, car elle seule sait ce qui lui est nécessaire à ce moment-là. »
Quoi qu’il en soit, la première chose à tâcher de comprendre, c’est si ce temps (très) long de deuil pose problème à la personne concernée.
Si les mots sont absents, exprimer autrement
« Quand on ne parvient pas encore à poser des mots sur sa souffrance alors qu’on le désire, on peut essayer d’autres canaux d’expression : l’art, l’expression corporelle, la relaxation ou la méditation. Un de mes patients, photographe, n’a pu m’expliquer ce qu’il ressentait qu’à travers des images. C’est la “porte d’entrée” que nous avons trouvée pour qu’il puisse exprimer ses émotions. »
* Emmanuelle Zech est professeur de psychologie clinique et psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle à l’UCL (université catholique de Louvain), auteur de Psychologie du deuil, impact et processus d’adaptation au décès d’un proche (Mardaga).
Le rôle de l’entourage
La meilleure façon d’aider un proche endeuillé, c’est d’être présent à lui, physiquement, de faire preuve d’une écoute attentive, et de savoir se taire aussi. Etre empathique, chaleureux, respectueux de ses choix. Si la personne se sent autorisée à vivre son deuil à sa manière, alors d’autres options s’ouvriront. Elle envisagera de s’arrimer à certaines choses, et d’en lâcher certaines autres. On ne peut bien accompagner l’autre qu’en ayant une confiance fondamentale dans ses ressources profondes. Ce que l’on appelle « la considération positive inconditionnelle ».