L'autre n'est plus là, et il va falloir reprendre la vie là où nous l'avions laissée, se lever le matin, retourner au travail, affronter l'émotion des uns et la maladresse des autres. Mais, si difficile que cela puisse paraître, cette reprise d'activité apporte un soutien considérable. C'est le constat que fait Christophe Fauré, psychiatre et psychothérapeute, spécialisé dans les ruptures de vie et auteur de "Vivre le deuil au jour le jour" (Albin Michel) et "Accompagner un proche en fin de vie" (Albin Michel). Il nous explique pourquoi.
PFG et PSYCHOLOGIES s'allient pour vous proposer des éléments de réflexions sur des questions fondamentales autour du deuil. Des réponses simples et aidantes d'experts permettront d'accompagner tous ceux qui viennent de perdre un proche et leur entourage dans ce moment éprouvant.
"Ma fille avait 4 ans quand son père s'est fait renverser par une voiture. Il n'a pas survécu au choc et est mort un mois plus tard. Très vite, Suzanne est retournée à l'école et moi au boulot, sinon c'était l'engloutissement. Passé le premier jour où je ne pouvais m'approcher du bureau sans m'effondrer en larmes, reprendre le travail, me sentir contenue, portée par l'équipe, m'a aidée à tenir debout et à me réancrer dans la vie."
Jeanne, 44 ans, Paris
Retravailler dès qu'on le peut
La loi prévoit trois jours de congés pour le décès d'un conjoint, cinq jours pour celui d'un enfant... C'est évidemment dérisoire en regard du cataclysme que représente la mort d'un proche, et d'autant plus lorsque celle-ci survient au cœur du foyer familial.
Pour certains, il faudra des semaines pour retrouver ne serait-ce que l'énergie de reprendre des activités quotidiennes élémentaires comme sortir de chez soi, faire les courses, ou même dormir la nuit... Mais l’isolement peut aggraver le mal-être. C'est pourquoi, lorsque cela est possible, je conseille de reprendre son travail assez rapidement. Il y a dans l'activité professionnelle quelque chose de très aidant et structurant.
On renoue avec un rythme quotidien de réveil, de repas, de transport, qui peut être un réel étayage dans ce moment où les repères ont été mis à mal. De plus, le lieu de travail est souvent désigné comme un cadre de soutien et de bienveillance. Et il n'est pas étonnant de voir dans cette étude du Crédoc (voir encadré), que 84% des personnes endeuillées disent trouver auprès de leurs collègues un soutien quotidien.
Je me souviens d'une femme qui travaillait dans une grande maison de luxe et venait de perdre son petit garçon. Aux obsèques, tout le comité de direction était là, et dans les mois qui ont suivi, cette femme, qui ne se sentait qu'un petit pion dans la boite, a été sidérée de voir l'attention qu'on lui a témoignée et en a conçu une immense gratitude. Ça peut être cela aussi, le travail, le cadre d'une solidarité que l'on n'aurait pas imaginée. Des choses très simples peuvent apporter un soulagement considérable, comme aménager si besoin les horaires de travail, permettre à la personne de partir un peu plus tôt, lui laisser le temps de faire les démarches administratives, prendre de ses nouvelles et s'enquérir de ses besoins...
Dépasser l'appréhension du premier jour
Il y a cette étape du retour sur le lieu de travail, où l'on redoute les commentaires gênés, l'évitement de ceux qui ne savent pas comment se comporter, et bien sûr ne pas pouvoir contenir ses émotions et s’effondrer devant ses collègues. Mais s'il est naturel qu'elles s'expriment, les émotions peuvent tout autant se trouver apaisées, "en suspens", pendant ce temps de travail.
Une de mes patientes, à la mort de son mari, a fait une réaction dépressive sévère. Après un arrêt maladie de trois mois prescrit par son médecin, elle est retournée travailler. "En réunion, me disait-elle, j'étais étonnée de me voir attentive, concentrée... Pendant les quelques heures que j'ai passées au bureau, j'étais absorbée par ce que je faisais, je n'ai plus pensé à rien.
" Au début d'un deuil, nous pouvons être pris par tant d'images, de pensées, de ruminations, de culpabilité que ces heures de travail où nous sommes occupés à une tâche et ne pensons plus, sont un temps de repos psychique très précieux. Nous avons besoin de ces parenthèses où notre conscient est focalisé ailleurs pour "laisser tranquille" le processus de deuil, qui est essentiellement inconscient.
Mais s'il est naturel qu'elles s'expriment, les émotions peuvent tout autant se trouver apaisées, "en suspens", pendant ce temps de travail.
Ne prendre aucune décision radicale
Certains deuils nous éprouvent si profondément, que nous pouvons être saisis par le sentiment de ne plus être du tout en phase avec le travail que nous faisions jusque-là. Vendre tel produit, se battre pour obtenir un marché, obéir à des consignes qu'on trouve absurdes, tout un coup, ça nous semble dérisoire.
On se dit : "Je ne peux plus faire ça, ça n'est plus moi." Même si la situation semble insupportable désormais, ce serait extrêmement périlleux de démissionner, de prendre sur un coup de tête une décision qui pourrait hypothéquer l'avenir. Il ne faut pas rajouter à cette période de grande fragilité, un nouveau flan de vulnérabilité, de nouveaux facteurs de stress. Je conseille d'attendre au moins six mois après la reprise du travail pour envisager un changement important. Si le malaise se poursuit après cette période, il sera temps alors d'envisager un nouveau projet professionnel et de le mettre en place.
À lire
Le deuil, une histoire de vie
Une brochure, gratuite, réalisée par l'association Empreintes que Christophe Fauré recommande : « c’est un document précieux que les entreprises devraient avoir à disposition pour accompagner leurs salariés en deuil. »
Renseignements : 01 42 38 07 08 ou contact@empreintes-asso.com.
www.empreintes-asso.com
Des arrêts de travail à durée très variable
Un deuil est une épreuve à la fois psychique et physique, comme le souligne une étude du CREDOC, réalisée pour les Assises du funéraire en octobre 2016. Certains ont besoin de plus de temps avant d'être en mesure de reprendre leur activité professionnelle.
35 % des personnes endeuillées ont vu leur santé altérée, notamment par un épuisement physique.
39 % se sont senties atteintes physiquement et moralement, le plus souvent parce qu’elles ont traversé des épisodes dépressifs.
42 % se sont arrêtées de travailler moins d'une semaine. Il s’agit le plus souvent de jours accordés par l’entreprise ou de jours de congé pris par le salarié.
29 % ont dû interrompre leur travail durant plus d’un mois.
Les collègues sont les premiers (84 %) à accompagner au quotidien la personne en deuil, que ce soit par des mots d’encouragement, des attentions, une implication pour pallier ses absences.